Quand Boissier dénicha les pinsapos et ...
d’autres espèces plantées à Saint-Jean.

, par AD

Edmond Boissier partit de Malaga le 11 mai 1837 au matin pour une première excursion d’un mois dans les montagnes de la province de Ronda. Il avait acheté « un mulet robuste pour porter son papier à dessécher les plantes et le peu de bagages qu’il avait avec lui » [1] et avait pris à son service, Antonio, un autochtone, en plus de son serviteur genevois : « Nous partîmes vêtus à la mode du pays, le sombrero pointu sur la tête, la giberne à la ceinture et l’escopette sur l’épaule. » Cela permettait « de parcourir le pays sans exciter la curiosité, tandis que la vue d’une redingote et d’un chapeau rond ameute tout un village, excite l’aboiement des chiens, et l’on se trouve infailliblement pris pour un Anglais, ce qui est une mauvaise recommandation auprès des rateros », les voleurs de grand chemin !

Après quelques jours d’explorations et de récoltes de diverses plantes, Edmond Boissier se prépara à l’ascension de la Sierra Bermeja :

« J’étais curieux de la visiter, afin d’y observer un sapin dont j’avais vu une branche sans fruit dans l’herbier de Monsieur Haensler à Malaga et qui me paraissait être une espèce nouvelle. Tout le monde [dans la région] connaissait, sous le nom de Pinsapo, cet arbre dont on fait usage dans les processions et les fêtes religieuses, à cause de l’élégance de son feuillage et de ses rameaux qui ressemblent à de petites croix. »

Quittant son groupe qui continua sur le sentier et grimpant tout seul face à la pente dans la forêt, Boissier se dirigea vers la crête. « Vers le dernier quart de la montagne, les pins diminuent puis disparaissent tout à fait et sont remplacés par les Pinsapos, que j’eus le plaisir de pouvoir examiner de près. Leurs branches, qui garnissaient le tronc jusqu’à la base, me rappelèrent nos sapins, mais la brièveté remarquable de leurs feuilles épaisses et charnues, leur disposition cylindrique sur les rameaux ne me permettaient de les rapporter à aucune espèce connue. »

Abies Pinsapo dans la Sierra Bermeja en juin 2016. L’espèce est aujourd’hui placée sur la liste rouge des espèces en danger, les zones où elle pousse devenant de plus en plus fragmentées et de plus en plus petites avec une qualité de l’habitat pour la plante qui se dégrade.
Crédit: Robert Perroulaz

Au pied de ces arbres, Boissier observa l’élégant Cistus populifolius :

« On se figure en général que les cistes n’habitent que les parties les plus chaudes de la région méditerranéenne ; il n’en est pas ainsi de cette dernière espèce » qui pousse dans des endroits « où la neige tient pendant quatre à cinq mois de l’année. Je suis convaincu qu’elle supporterait parfaitement nos hivers de l’Europe moyenne. »

Boissier arriva au sommet vers cinq heures du soir, contemplant au loin la côte africaine. Mais un vent glacé ne lui permit pas de rester longtemps sur la cime, d’autant plus que la nuit vint bientôt le surprendre. Ne retrouvant ses compagnons de route que grâce au feu que ceux-ci avaient allumé, Boissier, si heureux de sa journée se sentit « vivement tenté de passer la nuit à la belle étoile pour herboriser le jour suivant dans les environs. Mais nos provisions étaient épuisées et la faim nous chassa vers la ville. » Le groupe n’atteignit la localité d’Estepona qu’à dix heures du soir.

Abies Pinsapo Boiss. Une des 181 planches dessinées par Heyland pour l’Atlas que Boissier a publié dans le cadre de son ouvrage de 1839 relatant son voyage en Andalousie et présentant son exceptionnelle « Géographie botanique du royaume de Grenade. »

Boissier nota sobrement au soir de cette journée de découverte :

« Fatigué d’une journée longue et pénible, mais fort content de ses résultats. »

Malheureusement, lors de ce premier contact, Edmond Bossier n’arriva pas à trouver le moindre fruit, le moindre cône de pinsapo, élément pourtant indispensable pour une identification botanique. Il dut se résoudre à patienter jusqu’à la fin septembre pour monter sur la Sierra de la Nieve où il se montra un peu moins impassible : « Dans le second tiers de l’ascension, le guide nous montra de loin le premier pinsapo ; poussant des cris de joie, nous courons pleins d’émotion, mais hélas, l’arbre ne portait point de fruits, un second, un troisième me donnent successivement de fausses espérances. Enfin, je suis assez heureux pour en apercevoir un dont les branches supérieures sont chargées de cônes dressés. On se hâte de grimper pour les recueillir, et il ne nous reste plus de doute sur le genre de cet arbre singulier. C’était certainement un Abies voisin de notre sapin blanc ; mais très distinct » par plusieurs caractéristiques.

« Le principal but de mon excursion était atteint, et je m’acheminai vers le sommet de la montagne avec un nouveau courage, malgré une pluie fine et un brouillard qui ne permettait pas d’y voir à une grande distance ; ce ciel brumeux était d’ailleurs pour nous, en Andalousie, une nouveauté presqu’agréable. Dans une pente toute couverte de pinsapos plus grands et dont quelques-uns s’élevaient à une soixantaine de pieds, je récoltai une grande quantité de cônes déjà parvenus à leur grosseur, mais verts encore. Néanmoins, ils achevèrent de mûrir dans la caisse où je les avais renfermés, et de retour en Suisse, de nombreuses graines m’ont fourni le moyen de répandre cet arbre qui supportera, je l’espère, les hivers de l’Europe moyenne, puisqu’il croît ici jusqu’à une hauteur de 5’600 pieds. »

Notes

[1Toutes les citations sont extraites du récit qu’Edmond Boissier fit de son premier voyage en Andalousie : « Voyage botanique dans le Midi de l’Espagne pendant l’année 1837 », tome 1 « Narration et géographie botanique“, paru à Paris chez Gide et Cie, Libraires-Editeurs (1839-1845), pages 41 à 52 et 158-159